Fabien Ribery

auteur et créateur du site Lintervalle.blog. Agrégé de lettres modernes.

La Vallée Avalée, la Vésubie de Marc Pollini

Il faut garder trace, mémoire, des joies et des catastrophes, ne pas laisser le temps engloutir notre peine sans tenter de la métamorphoser en chemins de lucidité.
La tempête Alex qui frappa dramatiquement le village de Saint-Martin-Vésubie, ainsi que toute la vallée de l’arrière-pays niçois le 2 octobre 2020, mais aussi la vallée de la Roya, est la cause de la plus grande catastrophe écologique française du XXIe siècle.
Des disparus, des déplacés, des maisons et des routes emportées, un paysage bouleversé, des vies détruites.
Dans son journal photographique tenu pendant près de dix mois, intitulé La Vallée avalée – La Vésubie, Marc Pollini a rendu compte avec beaucoup de pudeur et de respect envers les habitants des ravages de cette tempête dantesque.
Des nuages d’Apocalypse, des hélicoptères, les dieux sont en colère.
Le Var, irrigué par la Vésubie, charrie des tonnes de déchets, des pans de maison, des objets, des végétaux arrachés.
Des ouvrages d’art se sont effondrés, les routes sont coupées, l’Etat agit mais il faut avant tout s’appuyer sur les liens de proximité pour ne pas sombrer un peu plus.
Où sont les loups échappés du Parc Alpha situé dans le hameau du Boréon ? Où hurlent-ils désormais ?

« Le long de la rivière, la nature a pris un air de cimetière avec ces arbres en croix. Ces troncs rabotés par les pierres ont créé des barrages qui ont cédé sous la puissance de l’eau et engendré des vagues dévastatrices. Les rochers charriés par le torrent sont la cause du bruit assourdissant dont parlent avec terreur les habitants. »
Loin de l’affairement médiatique, Marc Pollini prend le temps d’observer, de ressentir, de témoigner.
Les maisons sont des fétus de paille, la nature si belle, si quiète, est devenue folle.

Tout est calme désormais, mais, sous l’objectif du photographe, tout est effroyable, tout est mort.
Le cimetière lui-même a été emporté.
Eric Ciotti, député et conseiller départemental des Alpes-Maritimes, exprime sa peine, et sa stupeur : « Aux premières heures du jour nous avons enfin pu survoler la vallée en hélicoptère. Plus nous nous approchions, plus la peur me nouait l’estomac : ponts détruits, maisons éventrées, voitures retournées, routes coupées. Tout le long du fleuve, un spectacle de désolation comme après un bombardement. Certaines familles avaient tout perdu, leur maison, leur entreprise et jusqu’au caveau familial. »

On suit le journal de Marc Pollini, le souffle court, en se demandant quelle sera la nouvelle image de dévastation – aucun sensationnalisme ici, évidemment -, tout en comprenant que ce vaste corpus est avant tout un hommage à la vallée et aux êtres qui la peuplent, à leur courage et à leur résilience.
Tout est retourné, l’électricité et les moyens de communication sont coupés, il faut survivre.
Des tonnes de roches sont entrées dans la maison en construction, chacun redoute un nouvel orage, tout se fige dans l’absurde et le chaos.

Des racines enserrent des pierres, des pierres écrasent des racines, la forêt est un champ de bataille que recouvre la neige le 6 décembre 2020.
On entend des habitants : « Quand j’ai vu l’ampleur de cette catastrophe climatique, j’ai été K.O. comme sur un ring de boxe. » ; « J’ai vu trois personnes piégées dans une voiture qui dévalait la rivière et mes voisins sur le toit de leur maison être emportés. J’en ai été traumatisée. J’ai dû être hospitalisée trois semaines. C’est un journaliste qui m’a prêté son téléphone pour que je contacte ma fille le lendemain. » ; « J’ai vu des vagues déferler le long de la rivière, les éléments se sont déchaînés. C’était un tremblement de terre permanent, on entendait les maisons s’effondrer. »
Emportés par les tempêtes, les objets glanés par Marc Pollini, photographiés isolément sur fond neutre, sont déchirants : un camion Coca Cola pour enfant, un marteau, un chemisier vert, une chaussure saumon à talon haut, une ponceuse, un ballon crevé, une poêle.

La rivière est de couleur marron, le ciel ne sera peut-être plus jamais aussi bleu, la cascade appréciée des touristes peut être une fée monstrueuse.
Photographiés dans la pénombre, les habitants ayant accepté de poser reviennent de loin, l’exil est encore dans leurs yeux.
Une rai de lumière, deux, trois, la vie reprend, revient, des cairns ont été dressés, un enfant joue dans la rivière, un livre s’achève, l’histoire continue dans le secret des visages et des sentiments.

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