Jean Marc Raffaeli

redacteur en chef du journal Corse Matin

Ukraine, la mort dans l’âme – Marc Pollini

C‘est le temps de l‘exil, de la vie sèche, des âmes mortes. Pour revivre, il faut une grâce, l‘oubli de soi ou une patrie. Orphelin de guerre qui a grandi au sein d’une famille de migrants, Albert Camus aurait aimé arpenter cette Corse qui se fait depuis un an la patrie éphémère pour les femmes et les enfants d’Ukraine avec pour seul bagage les débris de leur liberté. Marc Pollini, photographe autodidacte et régional de l’étape de l’exposition, est allé à leur rencontre, dans les refuges urbains ou ruraux de leur nouvelle vie quotidienne, là où les élans de compassion et d’affection atténuent les morsures amères de l’éloignement et la torture morale d’imaginer les maris et les pères au combat.
Chez Marc Pollini, l’art et le vécu ont un air de famille. Les visages graves et les regards clairs de ses sujets sont une réminiscence de la géographie contrastée des paysages, fascinants de dissonance, d’Islande et d’Arizona que le photographe bastiais a exposés par le passé : une combinaison de minéralité âpre et de plaines fertiles, de parois abruptes et de cascades d’eau pure, d’ocre brune et de bleu océan. Les paysages sont sans arbre – symbole sacré de la force et de l’immortalité – tout comme les hommes et les certitudes de vie sont absents. Les femmes, mères ou filles, ici surexposées à la lumière, fixent l’objectif sans affectation dans leur attitude corporelle, confiant à leur regard droit et franc la mission de laisser miroiter une fierté, une détermination et une foi en l’avenir comparables à ce que leur pays renvoie au monde entier, jour après jour, épreuve après épreuve, crime après crime. Elles sont tantôt de face tantôt de profil, le choix assumé d’un mode anthropométrique pour signifier à la fois une incarcération intérieure, même sur une terre aussi hospitalière que la Corse. Parce que la guerre est une prison où chaque jour qui passe est marquée d’une croix sur un mur imaginaire et où chaque croix balise le chemin du retour.

Chargement...